vendredi 29 juin 2018

La maison battue par les vents (Windswept House) - Irlande


   Fort logiquement, dans ce long roman de plus de 700 pages, l'auteur a glissé un passage sur l'état des lieux de la foi catholique dans son pays natal, l'Irlande. Le passage - sous la forme du témoignage d'une fervente catholique américaine, Cessi Gladstone et de sa fille Tricia - est poignant et émouvant. La beauté et la poésie des paysages irlandais ne cachent plus la décrépitude de la vie spirituelle d'un peuple qui a pourtant lutté longtemps pour garder son identité catholique... L'état des lieux ressemble à ce qui se passe ailleurs en Europe. La pratique religieuse reste plus importante qu'en France et on va plus volontiers à la messe. Mais de quelle messe s'agit-il et de quel catholicisme s'agit-il ?.... Qu'est-ce qui a rendu les Irlandais, un peuple de rêveurs et de poètes, si matérialistes ?






La basilique de Knock, haut lieu de pèlerinage en Irlande. Personnellement, je l'ai trouvé sinistre et  illustre bien les propos de M. Martin 




Pages 544 et 545 IRLANDE


    Tout n'avait pas changé en Irlande, reconnut Cessi. Elle ne s'était encore jamais trouvée dans un pays où l'on pût goûter une tranquillité aussi totale, un air aussi pur, un soleil aussi doux, une campagne et une végétation aussi fraîches. La demeure d'été de Paul, à Liselton, l'avait emplie de cette grâce si particulière. Comme à Windsept, elle avait fait là-bas l'expérience du surnaturel, elle avait ressenti la certitude presque tangible que les eaux du Shannon et, au delà, celles de l'océan débouchaient à la fois sur le vaste monde de l'homme et sur tous les rivages invisibles de la Création divine.

    « Les ciels, dit Cessi, ne sont jamais sans nuage ; pourtant, on les voit toujours bleus. Les averses ensoleillées que portent les vents du sud-ouest irriguent la terre, mais ne la laissent jamais détrempée. Alors, les champs deviennent presque dorés lorsque mûrissent le blé, l'orge et le seigle. Les vergers de Liselton et le potager de Yusai regorgeaient cette année de pommes et de poires, qui se préparaient toutes à cuire dans les marmites de Hannah Dowd. »

   Les descriptions de Cessi semblaient idylliques à Chris, Damien et Michael. Mais Tricia ne partageait pas le même état d'esprit qu'eux. Elle s'était trouvé là-bas, elle aussi. Elle avait été captivée tout autant que sa mère par la beauté sauvage de l'Irlande et le témoignage impressionnant des ruines de ses monastères, châteaux et chapelles. Avec Yusai et le petit Declan pour guides et compagnons, elle avait laissé son imagination se nourrir des endroits qu'elle avait visités et dont chacun portait le nom d'un saint ou d'une sainte dont elle ignorait jusqu'à l'existence. Et pourtant, les croquis dont elle avait rempli son carnet à dessins montraient l'indéniable mélancolie qui fait toute la grâce de la campagne irlandaise. Il était presque trop facile de communier avec l'esprit des célèbres Saints et Érudits d'Irlande, qui avaient vécu avec pour silencieuse devise « pas de quartier » et qui étaient bien souvent morts sous l'épée d'oppresseurs étrangers. Mais il était quasiment impossible de trouver la moindre incarnation vivante de la foi de tous ces Irlandais qui dormaient sous un océan d'herbe, avec des croix celtiques dressées comme autant de mains en prière pour marquer leurs lieux de repos.

    « Il se peut, dit Cessi d'un air songeur, qu'il y ait là un monument dédié par Dieu à la gloire passée. » Par ce brusque changement de ton, elle dissipait elle-même l'atmosphère qu'elle avait su créer. « Et peut-être que les Irlandais modernes ne le négligeront, ne l'oublieront ou ne le détruiront jamais. En attendant, ils se fichent complètement du Paradis, du Purgatoire et de l'Enfer ! Ils vont très peu à la messe, et leurs églises ont toutes été modernisées au point d'être devenues méconnaissables. Le plus souvent, le tabernacle est placé à l'écart, hors de vue ; en outre, les confessionnaux, les crucifix, les stations du Chemin de Croix, ainsi que les statues de Marie et des Saints sont devenus des raretés. Dans la magnifique cathédrale de Killarney, l'antique Autel en marbre et son Tabernacle ont été découpés en morceaux et remisés dans des débarras ou autres recoins. Tous ces objets de valeur qui nous relient à la Révélation sont peu à peu remplacés par du toc. Tout se passe comme si, aux yeux des gens, la vraie vie tournait à la fable de Blanche-Neige, les évêques jouant les Sept Nains et sifflotant un joyeux refrain d'indépendance.

    « Et quant au clergé ! » Cessi leva les bras au ciel. « Il faut que je vous dise, Père Damien : ce sont soit des hommes jeunes théologiquement ignorants et effrontément modernistes dans leur conception de la foi religieuse et du comportement ecclésiastique. Les prêtres de la jeune génération n'ont plus aucun respect pour l'Église. Ils n'entendent rien à l'Eucharistie en tant que Sacrifice et Sacrement ; ils ne comprennent pas que non seulement elle donne la grâce, mais qu'en outre elle contient l'Auteur de la grâce en Personne. Ils sont anticléricaux et opposés à la papauté, et ils détestent en particulier le Pape slave. Ils ne veulent même plus être appelés Catholiques romains.

   « Leur seule croyance réside dans le tout-puissant dollar américain ; et sur le plan concret, ils sont devenus aussi moralement permissifs que les soi-disant Catholiques de ce pays. Le confort matériel, voilà ce qu'ils recherchent. L'esprit de compromis leur a fait accepter des choses jugées auparavant inacceptables. Et l'acceptation des compromis a remplacé la vérité universelle de leur Catholicisme romain. Cela aura pris du temps, mais le spectre cruel d'Oliver Cromwell a trouvé un allié dans le spectre de Walt Disney. Et pour le moment, ils semblent remporter à eux deux la bataille d'Irlande. »





la grande croix de l'ancien monastère de Monasterboice qui date du IXe siècle. Le prestige du catholicisme monastique du Haut Moyen-Âge et son rayonnement dans l'Europe de l'époque est reconnu par les historiens. Cela reviendra-t-il ?....






mardi 26 juin 2018

La maison battue par les vents (Windswept House) - pédophilie


   J'ai découvert vraiment le scandale de la pédophilie au sein de l'Eglise en 2009 avec un rapport gouvernemental irlandais qui avait fait tellement de bruit et de scandale que le Pape lui-même (Benoît  XVI à l'époque) s'est fendu d'une lettre aux catholiques irlandais. A la même époque, j'avais aussi entendu parler de cas d'agressions sexuelles sur les enfants de la part de prêtres en France et aux Etats-Unis. C'est en prenant l'exemple de ce dernier pays que Malachi Martin aborde ce sujet que j'avais trouvé insupportable à l'époque, au point que je voulais me faire débaptiser ! Car cette horreur a été une formidable opportunité pour de nouvelles attaques contre le catholicisme sans surtout poser cette question : comme des actes pareils à une grande échelle, touchant tous les pays ont-ils été possibles ? Et à qui profite le crime ?

   Le passage ici est glaçant car on a l'impression d'un complot minutieusement organisé... D'ailleurs, l'église américaine est décrite dans le roman comme particulièrement touchée par la décadence. Il faut dire que, fait peu connu, les Etats-Unis abritent la première communauté catholique du monde en nombre de fidèles et vivant dans un pays au paradigme différent du leur (libéral et protestant), et à mon avis ces catholiques ont donc un rôle et une place particuliers sur la scène spirituelle mondiale. 




les pays les plus touchés par les actes pédophiles au sein de l'Eglise. Ceux des Etats-Unis font particulièrement froid dans le dos

(page 541)



  " Il montra à O'Reilly la carte qu'il avait établi et lui fit part de l'idée de Damien selon laquelle une certaine version inversée du sacrifice religieux pourrait bien être à la base de tout cela. Peut-être que Slattery avait raison, dit-il. Peut-être qu'il existait une certaine démarcation théorique entre la simple pensée luciférienne et le véritable dévouement au Prince de ce monde. Il n'empêche que la totale uniformité de comportement observable entre ces centaines d'ecclésiastiques pédophiles – dont beaucoup ne se connaissaient pas -, de même que la terrible similitude entre les divers cas d'abus, tout cela impliquait forcément une obéissance quelconque à la volonté d'une intelligence unique et supérieure."










vendredi 22 juin 2018

La maison battue par les vents (Windswept House) - Avortement

   Comme je l'ai développé il y a quelques jours ici, la "détresse des femmes" et la "maîtrise du corps par les femmes" cachent des desseins occultes et particulièrement cyniques dans un monde où tout est marchandise (un argument de la gauche qui se dit "altermondialiste" - autrement dit mondialiste d'une autre façon, mais qui a tout de même du sens). On a ici affaire à la personnification même du progrès (thématique type de la gauche) au service du capital. 

   Malachi Martin n'aura pas su que près de vingt ans après sa mort, son pays natal succomberait aussi à ce phénomène qui s'étend : l'abdication face aux sirènes du progrès de valeurs profondément ancrées dans l'humanité toute entière, celle de la vie et particulièrement celle des plus faibles. Des sirènes du progrès qui ont berné des naïfs...

   Il n'est évidemment pas question de nier les vraies difficultés de certaines femmes mais cette réalité est le prétexte trompeur pour développer une industrie à l'aspect glaçant, totalitaire, futuriste et les meilleurs auteurs de dystopie seraient sans doute saisis d'effroi devant cette évidence : le monde qu'ils avaient imaginé est en train de se mettre en place.




Prière du Rosaire devant une clinique du Planned Parenthood à Denver, Etats-Unis en 2015. J'ai été frappée par l'aspect inhumain du bâtiment, de part ailleurs d'une taille impressionnante.... Mais avec le gouvernement de Trump qui a décidé de lui couper les subventions dont elle bénéficiait jusque là, le triomphe de cette officine eugéniste pourrait prendre fin ou du moins battre sérieusement de l'aile.






   " Les aspects anecdotiques du dossier donnaient cependant une impression de plus grande obscurité. Il n y avait rien de remarquable à que Sekuler s'entretînt en privé avec de hauts représentants des principales organisations pro-choix ni à ce que des témoins de ces entretiens le présentent comme pro-choix lui-même. Mais Gib retint sa respiration en tombant sur le compte rendu d'une réunion singulière au cours de laquelle, pour l'édification de quelque vingt-cinq avorteurs professionnels assemblés dans la salle d'opération d'une clinique privée, l'Allemand avait fait la démonstration de la toute dernière méthode permettant d'éliminer les carcasses des enfants avortés. Appleyard lut à haute voix : « En un bref préambule à sa démonstration, le sujet de la présente surveillance a garanti à son public qu'il n'y aurait plus de problèmes dus à des tuyaux de vidange bouchés, à des découvertes déplaisantes dans les poubelles publiques ou à de bruyantes démonstrations d'extrémistes.

   « Le sujet n'a pas fait de commentaires. Il avait apporté une valise et plusieurs caisses en métal de la taille d'une double boîte à archives. Il a retiré de sa valise et assemblé les éléments de ce qui constituait un broyeur de conception nouvelle très perfectionné. Il a pris dans les caisses en métal des morceaux de foetus fraîchement découpés et à divers états de développement. Puis, il s'en est servi pour démontrer comment réduire ce matériau de la manière la plus efficace et la plus hygiénique en une substance semi-liquide facile à déverser dans un lavabo et à évacuer par le tout- à-l'égout aussi sûrement et de façon aussi anodine que de la pâte dentifrice.

   « Le sujet a assuré à son public qu'il ne préconisait aucun changement radical dans la gestion ordinaire des avortoirs. Il n'était pas question que ces derniers se privent de revenus que leur apportent les chercheurs qui doivent se procurer des foetus vivants pour étudier la tolérance à la souffrance ou travailler sur des affections telles que la maladie de Parkinson, la maladie d'Alzheimer et le diabète. Il n'était pas envisageable non plus qu'on laisse les laboratoires de produits cosmétiques manquer de matériaux pour leur collagène, ni qu'on néglige les fabricants d'objet du culte, qui ont besoin de matière grasse pour fabriquer leurs cierges. Le nouveau système était ni plus ni moins qu'une méthode améliorée pour éliminer les restes superflus. »

     Le boniment mercantile se poursuivait tandis que la caméra panotait sur une véritable chaîne industrielle de bébés vivants et parfaitement formés en cours d'avortement. Il était procédé à leur démembrement, au tri et à l'empaquetage de chaque partie de leur corps dans d''impeccables sacs en plastique, puis à la surgélation de ces derniers par catégorie : cerveaux, coeurs, poumons, foies, reins, glandes. La scène finale montrait le changement de conteneurs spéciaux destinés à un transport rapide vers les marchés étrangers, comme s'il s'agissait de caviar beluga.

   Une séquence du début choqua si profondément le Pape qu'il en pleura comme un de ces bébés en voyant une femme – la « sage-femme », disait le commentateur – tenir dans ses mains un enfant
mâle venant de naître et encore relié au cordon ombilical. Il vit le nouveau né réagir en criant au froid de la salle d'opération. Il vit les mains minuscules chercher en tremblotant les yeux encore aveugles tandis que le cordon ombilical était coupé. Il vit que l'on passait l'enfant « à un chirurgien », disait le commentateur, pour être disséqué – vivant et hurlant – en « parties utiles ».

   Le Pape était trop horrifié pour parler une fois le film terminé. Trop horrifié, et aussi trop assommé par le parallèle entre l'invraisemblable abomination, organisée et commerciale, à laquelle il venait d'assister et qu'avait prédit – il le savait – le message délivré à Fatima en 1917. Il était convaincu d'avoir vu là les sabots mêmes du diable. Par conséquent, s'il fallait en croire le message de Fatima, c'est-à-dire si la Mère du Christ devait tenir sa promesse de 1917 et si le Pontificat du Pape slave était censé contribuer largement à la conversion de la Russie ainsi qu'à l'établissement d'un nouveau règne de paix dans le monde – comme la Bienheureuse Vierge Marie le lui avait fait savoir en 1981 -, rien ni personne ne pourrait cette fois, s'opposer à son voyage en Russie. Ni les Nations Unies, l'Union Européenne ou la CEI, ni ses cardinaux ou aucune puissance sur terre. "













samedi 2 juin 2018

La maison battue par les vents (Windswept House) - langage numérique et obscurcissement de l'intellect

   Dans ce passage, Malachi Martin souligne l'importance du choix des mots et de la richesse lexicale pour décrire quelque chose d'aussi détaché du matériel que la foi et la Révélation. L'appauvrissement du langage rend la pensée horizontale. C'est quelque chose que George Orwell, athée et socialiste, avait pensé également. Cela atteint tout ce qui relève de l'immatériel : l'amour (il suffit d'examiner le langage utilisé par les "thérapies du sexe"), des concepts politiques de liberté ou de souveraineté, de tout ce qui relève du sacré et de l'affectif sont atteints par cet appauvrissement du langage qui rend les personnes inaptes à se représenter des concepts et avoir une imagination et une réflexion profonde.

   Vingt ans après la parution du livre, nous sommes confrontés quotidiennement à cette destruction de l'esprit humain par des "technocrates". Cela me fait aussi repenser à une Bible qu'on m'avait donné il y a quelques années : publiée par l'Eglise adventiste du septième jour, elle avait été simplifiée. Par exemple l'arche (de Noé) avait été changée en "bateau"... Il ne s'agit pas de "langage numérique" mais l'intention semblait proche. Enfant, lorsqu'on me raconta le récit du Déluge, le mot "arche" évoquait pour moi un navire extraordinaire. On imagine aisément que l'impact du mot "bateau" aurait été sensiblement différent..

Pourtant Dieu vomit les tièdes....








pages 486 à 488 CATHOLICISME ET LANGAGE NUMÉRIQUE

   McGregor se mit à lire au hasard dans un lexique miniature, tandis que Christian écoutait avec saisissement. « Résurgence oecuménique. Renouveau social. Egalité des genres. Bible et formation informatique. Facilitateurs catéchétiques. Facilitateurs liturgiques. Développement pastoral programmatique. Task forces. Équipes ministérielles. Résolution des problèmes. Guérison des collectivités. Inculturation. Prière horizontale. Éducation axée sur les objectifs. Réalité virtuelle. Ministère collaboratif. Concept de don. Planification stratégique. Voilà, mon jeune ami, ce qu'est aujourd'hui le vocabulaire de la foi en Amérique. » McGregor ignora la sonnerie de l'interphone qui retentissait derrière lui, sur son bureau. « C'est un vocabulaire qui a l'air subtil, mais qui est en réalité incroyablement primitif, car il n'évoque que des images matérielles. Or, aucune image matérielle ne saurait exprimer la dimension immatérielle de la vie. Plus on pense en ces termes, moins on est capable d'une pensée qui fasse du surnaturel le socle fondamental de toutes choses ? Il devient même carrément impossible de penser en termes de réalité surnaturelle. Si les mots sont réduits à de simples images, et si tout est rendu matériel, comme est-il possible de penser en fonction de l'amour d'un Dieu Qu'aucun homme ne peut voir ? Comment est-il possible de penser à l'Incarnation, au Sacrifice, à la Résurrection et à l'Ascension du Fils de ce Dieu ? »
« Non, Chris. Dans ce nouveau vocabulaire de la foi, tout commence à nous échapper et à dériver dans le cyberespace.
« Il devient impossible d'appréhender les révélations du Christ au sujet de la Trinité. Impossible
d'appuyer sa pensée sur le don surnaturel qui a pour nom la grâce. Sur l'humilité et la pureté. Sur l'obéissance et la chasteté. Sur la piété et la sainteté. Sur le Christ en Croix, souffrant et s'anéantissant comme divin modèle de confiance en Dieu. Sur la charité en tant que visage humain du divin, donc de l'amour parfait. En définitive, il devient impossible de réfléchir au bien et au mal, au péché et à la contrition. A tout ce qui provient du vieux dictionnaire de notre foi.
« Et cela, Père Chris, nous met en face des réponses que vous êtres venus chercher ici, c'est à dire en face de la corruption. Tout bien considéré, une fois que les zéros et les uns du nouveau mode de pensée numérique ont retiré la dernière des innombrables strates de rudesse, de richesse et de subtilité de la Révélation divine, les évêques se trouvent confrontés au problème des attitudes et enseignements constants de l'Église, qui ont toujours été appuyés sur cette Révélation.
« De votre côté, vous savez bien que même la Présence réelle du Christ dans le Sacrement disparaît rapidement du credo quotidien. Une vierge conçue de manière immaculée, cela pose problème ? Les anges et les saints sont carrément gênants. L'autorité infaillible du Pape, c'est intolérable. Le Ciel lui-même – l'idée que nous pouvons participer à la vie d'un Dieu qu'aucun homme n'a vu – est traité comme un mythe culturel. S'intéresser à l'enfer et au Purgatoire dans le cadre d'une comparaison des cultures, c'est fort bien, mais il n'est pas pratique de vivre sa vie – y compris sa vie sexuelle – comme si les choses-là avaient de l'importance. »

   Christian demeura longtemps silencieux. Peut-être pour arracher son propre esprit à ce tape-à- l'oeil informatique dont venait de parler McGregor, il entreprit de penser selon le vieux dictionnaire de la foi. Il se mit à réfléchir à voix haute sur ce que Luc disait des deux disciples fuyant vers Emmaüs le jour même de la Résurrection du Christ. Sur le fait que leur perception hâtive des événements les avait empêchés de reconnaître le Seigneur ressuscité alors même qu'il venait de les rejoindre. « Peut-être les évêques d'aujourd'hui se comportent-ils un peu ainsi », hasarda-t-il. « Peut- être sont-ils aveuglés par l'idée que leur foi finira forcément par se manifester d'une manière glorieuse et bien de ce monde. Peut-être... »
« Je ne crois pas, le coupa brusquement McGregor ? Les évêques ne sont ni inquiets, ni déçus. Si le rôle de Dieu est de se montrer patient et miséricordieux, s'il n'y a ni Paradis ni enfer, si l'unique péché consiste à accentuer la réduction de la couche d'ozone ou à aggraver la surpopulation, alors tout va bien à leurs yeux. L'ennui, c'est que si vous raisonnez ainsi, c'est que vous avez cessé d'être catholique. Si vous pensez de la sorte, c'est que vous avez déjà été affecté par un obscurcissement de l'intellect. Et comme telle est l'oeuvre la plus réussie de Satan – car l'obscurcissement de l'intellect est toujours d'origine démoniaque -, cette obscurité-là est la plus complète de toutes.
« Si vous pensez ainsi, vous êtres prêts à mettre au rancart les enseignements de tous les théologiens – Pierre, Paul, Jean, Augustin, l'Aquinate et tous les autres autres. De Jérusalem à Vatican I, aucun des grands Conciles de l'Église n'a dit d'âneries. Or, à l'heure actuelle, il devint parfaitement acceptable de substituer les théories de la mécanique sociale à la connaissance de la foi. La vie devient horizontale. Tout ce qui importe a lieu ici et maintenant. Et la conséquence de tout ça, c'est que vous cessez d'espérer dans ce à quoi on espérait naguère. Je m'attends, désormais, à ce qu'une commission ou autre organisme quelconque nous envoie un de ces jours quelque chose pour remplacer la Summa Theologica de l'Aquinate. Sans doute intituleraient-ils ça Guide Essentiel de Théologie Politiquement Correct à l'Attention des Pasteurs Sensibles. Et l'ouvrage s'accompagnerait probablement d'un manuel nous expliquant comment surfer sur internet pour y trouver l'information précise dont nous avons besoin.
« Et je vous rappelle ceci, Chris. Nous ne parlons pas de la défaillance momentanée de deux disciples courant se réfugier à Emmaüs. Nous parlons de la défection de nations entières fonçant sur l'inforoute à la vitesse de la lumière. Et nous pourrions parler aussi du Pape slave lui-même. Du Vicaire du Christ. »

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