Pourquoi nous faut-il élucider si l’exécution du dernier empereur russe et de sa famille était ou non une action sacralisée ?
Il est difficile de s’expliquer l’hystérie mystérieuse de notre société libérale en réaction à la nouvelle que le Comité d’Enquête sur l’affaire du régicide, dans la nuit du 17 au 18 juin 1918, fait, entre autres, des recherches sur la vraisemblance du caractère rituel de ce crime.
Il est encore plus effrayant que dès les premières minutes du débat s’y soient impliqués avec véhémence des représentants d’une des confessions traditionnelles de la Russie, le judaïsme : soi-disant, ils avaient sous les yeux une provocation antisémite. Il est plus probable que le malentendu fut provoqué par ces mêmes journalistes libéraux qui mélangeaient (ou faisaient mine de mélanger) deux choses totalement différentes, le « meurtre rituel », c’est-à-dire un meurtre avec des motifs religieux, mystiques et l’utilisation de rituels ou d’une symbolique, et la « calomnie sanglante » , c’est-à-dire le mythe médiéval des rabbins égorgeant des enfants chrétiens pour la Pâques. Les journalistes ont commencé à interpeller les rabbins avec la question délirante : « Est-il vrai que l’Eglise Orthodoxe Russe vous accuse d’avoir tué le tsar ? » Ce à quoi, bien entendu, les représentants de la communauté juive ne pouvaient pas réagir sans indignation. C’est un truc facile.
En réalité, il existe des meurtres rituels sataniques et occultes, on en soupçonnait aussi des sectes russes du type des khlysti. Un psychopathe solitaire peut tout à fait s’inspirer d’idées pseudo-religieuses délirantes et accomplir lui aussi des meurtres rituels.
A la différence de la « calomnie sanglante » à laquelle même la propagande hitlérienne hésitait à recourir, les meurtres rituels, commis par des satanistes, des sectaires ou des occultistes s’avèrent, hélas, une composante de notre quotidien. Le 19 novembre, est mort dans une prison américaine le sectaire et organisateur de meurtres rituels Charles Manson. Et le clergé orthodoxe devient de temps en temps victime des maniaques satanistes : rappelons-nous le meurtre des moines d’Optina Poustin la nuit de Pâques 1993 ou le règlement de compte de la cathédrale de Ioujno-Sakhalinsk en février 2014.
L’hypocrisie de nos « libres penseurs » est évidente : criant à un antisémitisme supposé, ils détournent les yeux de la société de faits évidents : parmi les soi-disant athées bolcheviques, il y avait plein d’occultistes, depuis le commissaire du peuple à l’éducation Lounatcharski jusqu’à l’un des principaux commanditaires du régicide, Sverdlov. Que le thème sectaire fut extrêmement fort chez les fondateurs du pouvoir soviétique, en témoignent et le culte de l’étoile rouge (que de plus, au début, on dessinait renversée) et l’étrange idée du Mausolée, qui s’explique moins par la vénération de Lénine mort que par l’espoir de le ranimer…
Tout le bolchevisme des premiers temps était empli d’une symbolique ténébreuse qui était loin d’être innocente, et dans les actions de ses leaders se faisait jour une haine non seulement politique mais métaphysique pour le tsar, le système tricentenaire précédent de la Russie et, bien sûr, l’Eglise.
Dans les documents d’enquête sur la fusillade de la famille impériale beaucoup de témoignages réclament au minimum une étude approfondie : les étranges graffitis laissés sur les murs, dont une partie semble absurde, et l’autre présente un sens, comme cette citation de Heine en allemand, laissée par un petit malin : «Belsatzar ward in selbiger Nacht / Von seinen Knechten umgebracht». « Balthazar fut tué cette nuit par ses serviteurs ». Balthazar était dans la Bible le nom du roi de Babylone, mais son nom fut déformé par l’auteur de l’inscription, à la place de Belsazer, il a écrit Belsatsar, pour obtenir l’écriture du titre de tsar.
Cette seule inscription met fin aux spéculations mal intentionnées des apologètes néosoviétiques sur « l’exécution du citoyen ordinaire Romanov ». On a tué le tsar. Le tsar russe. La figure sacrée et la concentration de la gouvernance russe millénaire.
« Personne ne va nier que l’empereur, même ayant abdiqué, n’est pas resté, sans aucun doute, une figure symbolique, sacrée. Le meurtre du tsar et de sa famille, qui mettait fin à l’existence de la dynastie trois fois séculaire des Romanov, haïe des révolutionnaires, fut une affaire tout à fait particulière, empreinte pour beaucoup d’un contenu rituel, symbolique » remarque l’évêque d’Iegorevsk Tikhon (Chevkounov), secrétaire de la Commission Patriarcale pour l’étude des résultats de l’expertise des restes de la famille impériale.
C’est ici que se dissimule la cause de l’agitation bruyante de nos « libéraux ». Ce n’est pas la bonne réputation du peuple juif qu’ils défendent, rien ne rappelle la mythologie de la « calomnie sanglante » dans les circonstances du meurtre, même extérieures. Ils ne veulent pas qu’officiellement, à un niveau étatique, soit établi le fait que cette nuit là, dans la cave de la maison Ipatiev, fut tué le Tsar, et non le «citoyen», que les assassins voyaient le sens de leur action précisément dans le fait d’en finir avec la monarchie orthodoxe, en tant que point de concentration de ces forces spirituelles qui, selon l’enseignement des pères, s’opposent au mal mondial sous toutes ses formes.
La justice russe, sans conteste, est obligée d’examiner, dans le cadre des vérifications de l’enquête, toutes les versions de ce qui s’est passé. Bien que nous n’ayons aucun doute particulier sur le fait que tous les bourreaux de la tragédie d’Ekaterinboug étaient conscients de commettre précisément un régicide.
Mais qui défendent et qui servent ceux qui essaient d’entraîner l’enquête sur une fausse piste, suscitent la haine religieuse, tentent de «baillônner » le débat par des criailleries sur le fait qu’enquêter sur le caractère rituel du meurtre, c’est de « l’antisémitisme » ? La question est bien sûr, intéressante.