La demande constante de la Russie à Kiev d'appliquer enfin les accords de Minsk pourrait être la dernière chance pour le reste de l'Ukraine de rester unifiée, même si ce n'est pas en tant qu'État "unitaire", car il semble presque inévitable que seule une "solution confédérale" puisse empêcher cette construction zombie communiste de s'effondrer davantage, et ce, uniquement si les républiques du Donbass acceptent cette proposition implicite (qui ne peut être considérée comme acquise) et si des droits similaires sont accordés aux autres minorités autochtones de l'Ukraine, comme les Hongrois, les Polonais, les Roumains et le reste des Russes vivant sur son territoire.
Les empires existent depuis des millénaires, mais ils ont presque toujours été "naturels" dans le sens où un peuple en conquiert un autre (et, espérons-le, l'assimile, l'intègre et le traite équitablement). À tort ou à raison, pour le meilleur ou pour le pire, c'est ainsi que les relations internationales se sont développées jusqu'à une période relativement récente. Il ne s'agit pas de porter un jugement général sur ces systèmes, mais simplement de rappeler à chacun qu'ils existent. Il est essentiel de garder cela à l'esprit lorsque l'on analyse la décision du président Poutine de reconnaître l'indépendance des républiques séparatistes du Donbass en Ukraine. Son discours de près d'une heure peut être écouté dans son intégralité en anglais ici et lu sur le site officiel du Kremlin ici, (en français ici, NdlT)bien que ce dernier n'ait pas encore publié le texte complet au moment de la publication de cet article.
Ce qui a particulièrement frappé certains observateurs, c'est le sens très aigu de l'histoire dont a fait preuve le dirigeant russe en expliquant à son peuple les origines de l'État ukrainien moderne. Le président Poutine leur a rafraîchi la mémoire sur le fait qu'il s'agit en fait de l'héritage de nul autre que le fondateur de l'Union soviétique, Vladimir Lénine, le même homme que les "nationalistes" (fascistes) ukrainiens autoproclamés vilipendent hypocritement, qu'il a accusé d'avoir commis des erreurs administratives massives en volant des territoires russes historiques et en les donnant à des unités nationales nouvellement créées qu'il a ensuite dotées du droit constitutionnel de faire potentiellement sécession. Selon le dirigeant russe, il a agi ainsi dans le cadre d'un complot contraire à l'éthique visant à se maintenir au pouvoir, lui et son parti communiste, après la révolution de 1917, qui s'apparentait en fait davantage à un coup d'État de révolution colorée.
Alors qu'il commentait le deux poids deux mesures flagrant de l'Ukraine moderne, directement créée par Lénine, alors que les "nationalistes" (fascistes) autoproclamés de ce même pays sont fiévreusement obsédés par la décommunisation, le président Poutine a demandé de manière inoubliable, avec sa pointe d'ironie caractéristique : "Vous voulez la dé-communisation ? Eh bien, cela nous convient tout à fait. Mais vous ne devez pas vous arrêter à mi-chemin. Nous sommes prêts à vous montrer ce qu'une véritable dé-communisation signifie pour l'Ukraine." Il s'est ensuite étendu plus longuement sur la fabrication administrative contre nature des frontières de ce pays après l'indépendance, qui en sont venues à englober une variété de personnes bien plus grande que celles qui s'identifient comme ukrainiennes. L'impression laissée par son exposé historique est que l'Ukraine est un mini-empire contre nature.
Ce que l'on entend par là, c'est que cela a fini par englober plus que les Ukrainiens eux-mêmes par le biais de moyens venants du sommet vers la base imposés aux minorités associées par une tierce partie, les autorités centrales de facto dans la capitale soviétique de Moscou. Les Ukrainiens n'ont pas conquis les autres pour ensuite - comme tout le monde espère toujours que les empires naturels finissent par le faire - les assimiler, les intégrer et les traiter équitablement. Kiev s'est simplement vu accorder le contrôle de territoires historiquement non ukrainiens dans le cadre d'un complot intéressé de Lénine et de son parti communiste visant à s'accrocher au pouvoir par des moyens de division et de domination faisant appel à des mouvements nationalistes extrêmes qui auraient pu continuer à résister violemment à son gouvernement s'il ne leur avait pas généreusement mais de façon irresponsable accordé des concessions aussi extrêmes dans le souci de leur prestige.
Ainsi, non seulement certaines parties des territoires historiques de la Russie ont été soustraites au contrôle administratif direct de jure de leur État civil millénaire, mais aussi la Hongrie, la Pologne et la Roumanie qui ont été conquises par Moscou au cours des divers conflits qui ont suivi la création de l'URSS en 1922. Pour être clair, l'Union soviétique a sincèrement fait tout son possible pour assimiler, intégrer et traiter équitablement les nouvelles minorités qui sont entrées dans son empire de facto, même si cela n'a été mis en œuvre que de manière imparfaite dans la pratique, mais les tentatives de l'Ukraine après l'indépendance ont été une toute autre affaire. C'était particulièrement le cas après le coup d'État soutenu par l'étranger du début de 2014, qui a suivi la vague de terrorisme urbain connu sous le nom d'"EuroMaidan".
Les autorités (fascistes) "nationalistes" qui ont ensuite pris le pouvoir avec le soutien de l'Occident ont cherché à supprimer de manière agressive les droits des minorités au sein de leur pays, droits qui avaient été négligés jusqu'alors mais qui ont ensuite commencé à être activement inversés. La Hongrie, membre de l'OTAN, a vivement condamné sa "loi sur la langue", dont l'organisme de surveillance des droits de l'homme, la Commission de Venise, a confirmé qu'il s'agissait d'une position "justifiée" de la part des voisins de l'Ukraine, ce qui implique également la Russie, bien que les États-Unis affirment que de telles positions sont "injustifiées". À la fin de l'année 2021, la Pologne, deuxième plus ardent défenseur de l'Ukraine après les États-Unis, a publié un rapport très critique à l'encontre de ce pays voisin pour les mauvais traitements infligés aux membres de leur éthnie.
Il ne s'agissait pas du rapport d'une ONG ou d'un journaliste anonyme, mais d'un rapport communiqué par le vice-ministre polonais des affaires étrangères au comité de liaison avec les Polonais de l'étranger, ce qui en fait la position officielle du gouvernement polonais. Il exprime une extrême inquiétude à l'égard de la "loi sur la langue" de l'Ukraine, que la Hongrie et la Russie avaient déjà condamnée, et reproche à Kiev de glorifier les responsables du génocide perpétré contre le peuple polonais pendant la Seconde Guerre mondiale sur ce qui est aujourd'hui le territoire de cette ancienne République soviétique. En outre, le rapport mettait en garde contre les tensions religieuses qui se développaient également à l'encontre des catholiques polonais. Pour ces raisons, le vice-ministre des affaires étrangères aurait déclaré : "Il ne serait pas exagéré de dire que les Polonais d'Ukraine sont victimes de discrimination".
Ces faits dont l’existence est objective et qui sont facilement vérifiables ajoutent du crédit à l'observation selon laquelle l'Ukraine est un mini-empire contre nature créé par Lénine et ses soutiens communistes pour des raisons d'intérêt personnel, qui refuse catégoriquement de respecter les droits des minorités placées arbitrairement à l'intérieur de ses frontières administratives par une tierce partie, les autorités centrales de facto de Moscou. La réunification démocratique de la Crimée avec la Russie et la reconnaissance finale des républiques du Donbass par cette Grande Puissance eurasienne en tant qu'États indépendants, montrent que le mini-empire contre nature de l'Ukraine s'effrite, sans parler des critiques dont il fait de plus en plus l'objet de la part de ses voisins hongrois et polonais, membres de l'OTAN. Néanmoins, cela ne signifie pas que l'Ukraine, en tant qu'État membre des Nations unies, cessera bientôt d'exister.
Il est plutôt important d'attirer l'attention sur la déclaration de l'ambassadeur russe auprès de l'ONU, Vasilli Nebenzya, devant le Conseil de sécurité lundi, dans laquelle il a réaffirmé que Kiev a toujours l'obligation de mettre en œuvre les accords de Minsk soutenus par le Conseil de sécurité. Il a précisé que "au moment où les accords de Minsk ont été signés, la République populaire de Lougansk et la République populaire de Donetsk avaient déjà proclamé leur indépendance. Le fait que la Russie ait reconnu cette indépendance aujourd'hui ne change rien à la liste des parties aux accords de Minsk, car la Russie n'en fait pas partie." Cela implique que, bien que Moscou reconnaisse les républiques du Donbass comme des pays indépendants, elle est toujours favorable à ce qu'elles entament des négociations avec ce qu'il reste de l'Ukraine, que la Russie considère désormais comme un pays distinct. Cela laisse entrevoir un changement possible dans la stratégie finale de la Russie dans cette région.
Ces entités politiques désormais souveraines pourraient éventuellement se réunir avec la Russie afin de réparer l'erreur historique de Lénine, qui a "littéralement écrasé (ces entités) en Ukraine", comme l'a déclaré le président Poutine lundi soir lors de son discours, mais pour l'instant, il semble que Moscou ait une autre idée en tête. Si ses représentants ont clairement indiqué à plusieurs reprises qu'ils considéraient la question de la Crimée comme close, celle du Donbass n'est pas aussi tranchée. En rappelant à Kiev ses obligations au titre des accords de Minsk, la Russie laisse entendre qu'elle pourrait accepter une future "solution confédérale" entre le Donbass et l'Ukraine, qui équivaudrait essentiellement à la "bosnification" de cette ancienne république soviétique et serait donc conforme à la clause des accords de Minsk selon laquelle cette région doit bénéficier d'un "statut spécial" sur le plan constitutionnel.
C'est le seul scénario potentiellement acceptable pour que le Donbass se réincorpore à l'Ukraine, car aucune autre option ne permettrait de manière crédible de protéger les droits de l'homme de sa population russe indigène. On peut dire la même chose des minorités hongroise, polonaise et roumaine d'Ukraine, qui subissent elles aussi des abus similaires en ce moment, comme en témoignent les positions officielles de leurs gouvernements respectifs à l'égard de la "loi sur la langue" de Kiev, bien que leur situation ne soit heureusement pas (encore ?) aussi grave que celle de la minorité russe. En d'autres termes, le mini-empire contre-nature de Lénine doit subir des changements administratifs et politiques révolutionnaires pour ne pas risquer de s'effriter davantage et de perdre ainsi le contrôle de son territoire habité par une minorité dont les habitants sont objectivement considérés comme historiquement autochtones.
À ce stade du moins, la Russie préférerait ne pas voir la "balkanisation" de l'Ukraine se poursuivre, c'est pourquoi elle espère que Kiev mettra enfin en œuvre les accords de Minsk et envisagera probablement une "solution confédérale" pour la réincorporation nominale du Donbass. Toutefois, cela implique également l'octroi potentiel de droits confédéraux similaires aux terres sur lesquelles d'autres minorités, comme les Hongrois, les Polonais et les Roumains, sont également considérées comme autochtones. C'est cette crainte d'une dévolution éventuellement incontrôlable du mini-empire contre nature de Lénine qui a conduit Kiev à refuser de mettre en œuvre ses obligations juridiques internationales par le biais des accords de Minsk, mais aujourd'hui, ce résultat est déjà un fait accompli d'une manière ou d'une autre en raison de son erreur de calcul désastreuse.
Si Kiev avait fait ce qu'il était censé faire, le Donbass aurait déjà été réincorporé à l'Ukraine, mais avec un "statut spécial" inscrit dans la Constitution et lui conférant un certain degré d'autonomie (très probablement dans les affaires politiques locales et les droits culturels et linguistiques). Aujourd’hui cependant, la seule façon pour Kiev d'espérer réincorporer nominalement le Donbass est d'accepter une "solution confédérale" accordant à cette région séparatiste une large autonomie proche de l'indépendance de facto en raison de la reconnaissance par Moscou de sa souveraineté et des traités de sécurité mutuelle qui lui sont associés. Si Kiev n'accepte pas, le Donbass est perdu à jamais (il pourrait très bien l'être déjà puisque ces républiques pourraient même ne pas accepter cette "solution confédérale" spéculative) et il pourrait même risquer de perdre d'autres territoires également.
Tout cela c’est parce que l'Ukraine est le mini-empire contre-nature de Lénine, mais en théorie elle aurait pu rester administrativement et politiquement viable si elle avait sincèrement respecté les droits de ses nombreuses minorités autochtones, avant mais surtout après le coup d'État de 2014 soutenu par l'Occident. Au lieu de cela, l'Ukraine de l'après-Maidan a choisi la voie d'un "nationalisme" (fasciste) enragé qui a finalement sonné le glas des frontières extérieures de cette entité artificielle. La demande constante de la Russie à Kiev d'appliquer enfin les accords de Minsk pourrait être la dernière chance pour le reste de l'Ukraine de rester unifiée, même si ce n'est pas en tant qu'État "unitaire", car il semble presque inévitable que seule une "solution confédérale" puisse maintenir l'unité de cette construction zombie communiste. Si Kiev ne s'exécute pas, l'Ukraine pourrait bientôt connaître encore plus de séparatisme.
Andrew Korybko
Source : https://oneworld.press/?module=articles&action=view&id=2506
http://newsnet.fr/read/ukraine-la-fin-du-mini-empire-contre-nature-de-lenine-est-elle-proche
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