vendredi 17 janvier 2020

La Pachamama irlandaise (1)




Bien avant que le Pape François ne vénère la déesse païenne de la fertilité Pachamama dans les jardins du Vatican à l'église Sainte-Marie de Traspontina, dans le cadre du synode sur l'Amazonie, une idole similaire était apparue dans des églises dans toute l'Irlande.

Avec ses jambes écartées, ses mains qui écartent sa vulve ouverte, un rictus maniaque sur son visage, la Sile na Gig (la prononciation française est "Shila na guig" mais on pense que la prononciation correcte en irlandais est "Shila na Gui") est une version hardcore de la Pachamama - et pas uniquement parce qu'elle est en pierre et a survécu au moins mille ans. Plus de 140 représentations rappelant les gargouilles ont été trouvées dans les Îles Britanniques, la vaste majorité en Irlande, bon nombre d'entre elles apparaissant dans les sculptures en pierre d'églises chrétiennes primitives.

Elles étaient habituellement placées sur le mur sud, au dessus de la porte. L'un des exemples les plus frappants inclut la Chapelle des Nonnes à Clonmacnoise en Irlande. On pense qu'elles font partie d'une ancienne tradition pré-chrétienne en Irlande.

L'habitude de sculpter ces représentations et de les placer dans l'ouvrage en pierre des églises d'Europe occidentale (surtout l'Irlande) a continué jusqu'au 17ème siècle, lorsque un clergé post-Réforme scandalisé a ordonné qu'on les enlève. Elles ont été dispersées, finissant dans toutes sortes de lieux (sécularisés) : murs, piliers d'entrée, champs, puits et tombeaux.

Certaines ont été cassées ou dégradées. L'une d'entre elle a été trouvée dans une rivière en Irlande où elle aurait pu être jetée pour ôter son potentiel malfaisant (il semblerait que dans l'idéal, les objets sacrilèges soient jetés dans le courant, et cela a été même la méthode de purification choisie par Alexander Tschuggel, l'Autrichien qui a jeté les Pachamama dans le Tibre).

La plus grande collection connue de Sile na Gigs se trouve au Musée National d'Irlande, où l'on peut trouver 13 d'entre elles, dont deux exposées en permanence. Le musée a été accusé de pudibonderie lorsqu'on les avait entreposées dans les voûtes durant des travaux de rénovation dans les années 1990, et une controverse nationale a suivie dans la rubrique courrier des quotidiens nationaux et les émissions de radio populaires, leur valeur historique et culturelle contrebalançant leurs aspects éminemment pornographiques et sacrilèges. Le Heritage Council of Ireland a publié une carte interactive montrant l'emplacement de 100 Sile na Gig supplémentaires à travers le pays.

Les historiens peuvent seulement deviner leur signification. Il y a diverses théories exprimées dans bien des livres, le plus connu étant "Sheela na Gigs: Unravelling an Enigma" de Barbara Freitag dans lequel elle explique qu' "elles ont été associées aux pouvoirs de fécondité, naissance et mort et le renouveau de la vie."  Mais il est généralement accepté qu'elles fassent partie d'une tradition païenne plus ancienne dans laquelle la sorcière est vénérée.

Alors que la "femme d'esprit" avec le pouvoir d'enlever le "Mauvais Œil" était un élément banal d'à peu près toutes les sociétés anciennes dans le monde, la version irlandaise était apparemment créditée comme brisant les mauvais sorts en utilisant le pouvoir de ses parties intimes. L'un des sites les plus complets sur le sujet de la Sile na Gig, WhiteDragon.org.uk, se réfère à un journal conservé par un visiteur allemand en Irlande dans les années 1840, Johan Kohl, qui avait mentionné cette tradition. "(Kohl) avait découvert que dans ce pays, les gens allaient souvent voir la Femme Sage s'il voulait éviter le mauvais sort... Et l'une des méthodes principales d'éviter le "Mauvais Œil" était apparemment de s'exposer à la victime."

Cela pourrait expliquer la vieille tradition irlandaise de frotter la vulve de la Sile na Gig pour soulager un mal (bien que sans aucun doute, cela faisait avancer les choses de lever une personne malade pour atteindre les Sile na Gig au dessus des portes d'églises !). Toutes les Sile na Gig restantes ont certainement l'air d'avoir été frottées, bien que cela peut être du à mille ans d'exposition aux intempéries ; quelqu'en soit les causes, elles ont été clairement placées sur les églises comme une forme de blasphème.

L'une d'elle dans l'abbaye cistercienne d'Abbeylara dans le comté de Longford, ressemble à une parodie de la Vierge à l'Enfant. Les représentations sont lascives de façon flagrante (elles ont toutes des rictus concupiscents et exposent fièrement leur vulve), la laideur indécente de l'une d'elle (un contraste délibéré avec la pureté et la beauté de Notre Dame), et le fait que la guérisseuse représentait traditionnellement des femmes utilisant leurs sexualité mature pour prendre le pouvoir, sont des preuves que ces symboles représentent l'opposé de tout ce qui est chrétien.

WhiteDragon.org.uk affirme également "qu'en Irlande, il est courant que le nom sacré d'une femme, Catherine/Cathleen soit associé avec les Sheela na Gigs." En tant que catholique irlandaise, dont sa feu tante était une belle et fervente catholique qui s'appelait Kathleen, ce sont des nouvelles déconcertantes pour moi  et pour quiconque préfère penser à ce nom comme un hommage à St Catherine de Sienne. Cela semble aussi en contradiction avec l'étymologie européenne du nom Catherine.*

Bien qu'évidemment, il est possible qu'il y ait eu autrefois une version irlandaise païenne de ce nom, et qu'il ait été christianisé comme d'autres comme Brigid (avec l'inconsistance qui les caractérise, les "libéraux" insistent pour récupérer les noms des saints chrétiens pour les attribuer à des déesses païennes, mais attaquent quiconque ose appeler les transgenres par leur "noms défunts" (dead names). Il n y a aucun doute que quiconque s'appelle Sile ou Sheila pourrait avoir un plus grand empressement à se dissocier des ces images hideuses.

Il y a eu un renouveau massif de ces bas-relief en Irlande au XIe et au XIIe siècle, sur les murs des plus belles églises romanes qui avaient été construites un peu partout en Irlande à l'époque ; Certains de ces symboles de fertilité à l'apparence trop réaliste ont même des clitoris visibles. une théorie possible est qu'ils aient été florissants à l'époque dans le cadre de la tradition architecturale romane de graver les Sept péchés Capitaux dans la pierre.

La luxure, la colère, et l'envie sont particulièrement répandues sur les sculptures dans les églises d'Europe continentale (il y a des références à cette tradition dans le New World Encyclopaedia). En Italie, le musée du château de Sforza à Milan expose une version plus raffinée d'une femme semblable à Sile, bien que dans ce cas, elle a l'air jeune et robuste, se tient debout et tient ouvert ses lèvres avec l'aide de ce qui semble être une sorte d'instrument phallique (on a dit que c'était des ciseaux ou des voilages, mais il pourrait être facilement une sorte de sucette). On pense que cette sculpture était sur les remparts de la ville jusqu'à ce que le Cardinal Carlo Borromeo - qui est plus tard devenu pape - la fasse enlever.

La tradition irlandaise de représentation de la fertilité en tant que sorcière et de l'appeler "Sile" a peut-être un lien avec la Ban na Sidhe ou "femme des fées", une femme surnaturelle puissante qu'on croyait être annonciatrice de la mort. Dans The Encyclopaedia of Religion, Mircea Eliade suggère même qu'elle était une faiseuse de roi, citant le mythe d'une déesse irlandaise qui "apparaissait sous la forme d'une sorcière voluptueuse, et beaucoup d'hommes refusaient ses avances, sauf un qui avait accepté. Lorsqu'il a dormi avec elle, elle s'est transformée en une belle jeune fille qui accordait la royauté sur lui et a béni son règne."


représentation moderne de la Ban na Sidhe ou Banshee

Alors qu'il y a plusieurs théories sur les origines et la signification des Sile, et les experts acceptent qu'il n y ait pas assez de preuve dans l'architecture ou le folklore pour en venir à une conclusion définitive, il est plausible que l'apparence hagarde de Sile doit quelque chose à l'antique tradition, qu'on trouve à travers le monde; du lien entre la mort et la fertilité. La déesse irlandaise Morrigan a été considérée comme une déesse de la mort et de la fertilité ; similaire aux déesses qu'on peut trouver dans le folklore indien et sud-américain.

Enterrée sous les brumes de l'histoire, l'indéniablement laide Sile na Gig a été éclipsée sur son territoire par une déesse plus exotique, tel la déesse égyptienne Isis à laquelle a été consacré un temple dans les voutes du château de Huntington à la limite des comtés de Carlow et de Wexford. La haute prêtresse du temple d'Isis, feu Lady Olivia Durdin-Robertson, a expliqué à l'auteur de ces lignes qu'elle croyait que Notre Dame et la déesse Isis et toutes les anciennes déesses ne font qu'une - un syncrétisme dont le manifeste du Pape sur le Synode sur l'Amazonie fait écho. La confusion délibérée du christianisme avec le paganisme n'est pas nouveau mais il gagné en popularité ces derniers temps grâce au haut profil de l'auto-proclamée praticienne de la sorcellerie et Ministre du gouvernement irlandais Katherine Zappone, qui affirme avoir pris part à des rituels qui fusionnent le christianisme avec le paganisme celtique, et par la prolifération de païens dans toute l'Irlande qui met au même plan Sainte Brigitte avec la déesse Brigid.

D'autres manifestations de déesses ont aussi surgies à un rythme fastidieux en Irlande durant la récente transition de l'Île des Saints et des Savants à la terre maudite du drapeau arc-en-ciel. En 2014, la Pachamama est venue en Irlande sous la forme d'un ensemble d'instruments en terre cuite péruviens. Ces objets, dont on a dit qu'ils étaient utilisés par les Incas pour réveiller la force de la Terre-Mère / Pachamama ont été amenés au festival annuel de déesses dans le comté de Roscommon par le musicien, homéopathe et "émotionologiste", Fred Walker de Castlepollard dans le comté de Roscommon, qui a dit à l'auteur de ces lignes qu'il s'agissait "d'objets sacrés qui équilibrent les rythmes cérébraux. Ils sont comme les Pacho-Mamas (sic) qui ont été retrouvés un peu partout en Amérique du Sud. Je les ai obtenu d'un Nord-Américain en 2007, mais j'ai du attendre deux ans avant qu'il n'en fasse pour moi. Il ne me les a pas expédiées parce qu'elles ne peuvent pas traverser les flots seules - j'ai du aller à Boston et les prendre personnellement."

Fin de la première partie

Geraldine Comiskey - Culture Wars magazine - janvier 2020


* du grec ancien καθαρός (katharos) "pur"

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