jeudi 21 novembre 2019

Le retour de l'indigène

Par Dwight Longenecker

L'erreur essentielle des théologiens modernistes qui promeuvent leur programme au synode sur l'Amazonie est qu'ils sont tombés dans le mythe du bon sauvage. Mais le noble sauvage comme le sauvage urbain sont des généralités simplistes : ils expriment une vérité et un mensonge en même temps.



George Carlin - Wi-jún-jon, The Light Going To and Returning From Washington


Le récent synode sur l'Amazonie à Rome a révélé ce qui pourrait s'appeler "le Retour de l'Indigène" ou peut-être "le Retour du Bon Sauvage".

Le mythe du bon sauvage a une histoire intéressante vieille de cinq-cent ans. Lorsque le nouveau monde a été découvert et exploré, les Européens découvraient des peuples indigènes partout où ils allaient.

Les réactions étaient diverses.

Les catholiques s'embarquaient dans des initiatives missionnaires courageuses concernant les indigènes comme des païens qui avaient besoin d'être évangélisés. Bien des colons calvinistes de Nouvelle Angleterre, au contraire, n'ont pas évangélisé les Indiens. Selon eux, c'était sans objet parce que les sauvages ne pouvaient pas devenir membres des élus parce qu'ils n'avaient pas d'âme. Des reportages des premiers explorateurs en Afrique faisaient écho à cette opinion. Ils considéraient les Africains tribaux comme étant à peu près une variante plus élevée des chimpanzés et des gorilles qu'ils avaient aussi découvert.

Le fait de considérer les indigènes comme des sous-espèces servait de prétexte aux atrocités commises par les pouvoirs coloniaux. Les indigènes ont été éradiqués par des massacres, leurs populations décimées par des maladies transmises par les Européens contre lesquelles ils n'étaient pas immunisés. Ils ont été asservis, déportés, emmenés de leur terre et éliminés si on les trouvait gênants. 

La réponse intellectuelle aux atrocités a été d'aller à l'autre extrême. Le mythe du bon sauvage a commencé à germer dans le sol fertile de la France antireligieuse des Lumières. Les indigènes n'étaient pas des sauvages mais les enfants innocents et préservés d'Adam et Ève, vivant toujours dans le jardin d'Éden. C'était les Européens qui étaient les vrais barbares.
A la fin du XVIe et pendant le XVIIe siècle, la figure du "bon sauvage" a été brandie comme un reproche à la civilisation européenne, alors en proie aux Guerres de Religions en France et à la Guerre de Trente Ans. Dans son fameux essai, Des Cannibales, Michel de Montaigne - lui-même un catholique - a rapporté que les membres du peuple Tupinamba du Brésil mangent de façon cérémonieuse les corps de leurs ennemis morts pour une question d'honneur. Cependant, il a rappelé à ses lecteurs que les Européens se conduisaient de façon encore plus barbare lorsqu'ils se brûlaient vifs mutuellement pour désaccord religieux.
 En anglais, le terme de "bon sauvage" est apparu pour la première fois dans la pièce de John Dryden, La conquête de Grenade (1672)
Je suis d'autant plus libre que la nature a d'abord créée l'homme, 
Auparavant, les lois fondatrices de la servitude avaient commencé
Lorsque dans les bois les bons sauvages courraient en liberté.

La personne noble de basse extraction est un personnage type du théâtre depuis l'époque classique. Au XVIIIe siècle, le noble sauvage a rejoint la laitière vertueuse, le serviteur plus intelligent que le maître, et autres venus de milieux humbles, des personnages avisés ou nobles pour mettre en lumière la vertu naturelle et dévoiler l'hypocrisie.
Entre temps, dans le monde artistique du XIXe siècle, les impressionnistes ont donné une vision romantiques aux prostituées, aux artistes de cirque et aux ouvriers agricoles. Le post-impressionniste Paul Gauguin, s'est servi du rêve du bon sauvage jusqu'à son issue logique en déménageant de France pour Tahiti pour vivre parmi ceux qu'il considérait comme les enfants innocents du jardin d'Éden.
Ainsi, l'idée du noble sauvage fait écho jusqu'à nos jours. Actuellement, ce sont les écoguerriers qui ont tendance à tomber dans la notion du bon sauvage. L'orthodoxie des écoguerriers est pénétrée par l'enthousiasme sentimental pour les peuples indigènes et leur culture. De la même façon qu'à l'aube du concept du bon sauvage, cet enthousiasme est toujours la façade de la condamnation de la culture occidentale. 


Une mère et son enfant de la tribu amazonienne Yanomami
Source : Wikimedia Commons

La version contemporaine du mythe, c'est que ceux qui jouissent des bénéfices de la technologie moderne et d'une société ordonnée sont les vraies barbares parce que nous détruisons le monde naturel avec notre consumérisme et notre avidité. Les peuples indigènes nous montrent la voie. Ils sont ceux qui vivent en harmonie avec la Pachamama - la Terre Mère. Dans leur innocence édénique, ils vivent une magnifique intégration avec le monde naturel.
Mais bien sûr, ce qui étaient erroné au XVIe et XVIIe siècle, l'est autant aujourd'hui. Alors que certaines tribus étaient des chasseurs-cueilleurs pacifiques, bon nombre de peuples indigènes suivent des systèmes de croyances obscures et de coutumes abominables. 
Les sacrifices humains des Mayas et des Aztèques contredisent toute notion de sauvages simples comme admirables. Les missionnaires jésuites d'Amérique du Nord offrent une correction retentissante au mythe du bon sauvage. Saint-Jean-de-Brébeuf et ses compagnons ont gardé des témoignages détaillés de conditions réellement horribles parmi les sauvages assoiffés de sang qui étaient prisonniers de la superstition, la violence et la peur.
Le bon sauvage est toujours institué en contraste avec ce qu'on appelle de nos jours le "sauvage urbain". Tout comme Montaigne mettait l'accent sur les barbares européens de son temps, nous mettons l'accent sur le "sauvage urbain", une personne supposée être civilisée mais qui est le vrai sauvage. Derrière le vernis de ses bonnes manières et de sa vie ordonnée, se tapit le sauvage assoiffé de sang. Etant donné les bonnes conditions, nous aussi devrions revenir au tribalisme primitif. Le concept a été brillamment ranimé à la vie dans le film The Wicker Man et dans le roman de William Golding, Sa Majesté des mouches - dans lequel un groupe d'écoliers anglais échoués sur une île deviennent rapidement des barbares sanguinaires.
Mais bien sûr, les deux concepts - le bon sauvage et le sauvage urbain - sont des généralités simplistes et comme toutes les généralités, elles expriment une vérité et un mensonge en même temps. Le fait sur le sujet, c'est que  l'humain dans la jungle tout comme l'humain dans la ville sont assez semblables, et c'est uniquement l'anthropologie chrétienne traditionnelle qui peut donner un sens au dilemme.
L'erreur dans le concept du bon sauvage, c'est l'optimisme excessif. L'idée du bon sauvage est basée sur l'à-priori que les humains sont essentiellement bons. L'erreur dans le concept du sauvage urbain est que les humains sont essentiellement mauvais.
La théologie chrétienne affirme que les êtres humains ont été crées bons parce qu'ils ont été crées à l'image de Dieu et Dieu ne peut pas faire quelque chose de mauvais. L'humain de l'Amazonie et l'humain de Manhattan sont tous deux des êtres éternels qui sont par conséquent, essentiellement bons. Cependant, le sauvage dans la jungle comme le sauvage dans la ville ont chuté de cette bonté et dans leur condition naturelle, n'ont pas été rachetés et sont prisonniers du péché et de l'esclavage de la part de forces obscures.
En tant que tel, les deux figures sont nobles et ignobles. Les deux sont pécheurs. les deux peuvent être des saints. C'est seulement la foi chrétienne qui établi cette réalité et offre la rédemption nécessaire.
L'erreur essentielle des théologiens modernistes qui favorisent leur agenda au synode sur l'Amazonie, c'est qu'ils sont tombés dans le mythe du bon sauvage. Infectés par le faux optimisme de l'universalisme combiné avec un sentimentalisme naïf, ils imaginent que nous, dans le monde développé, nous sommes les véritables sauvages alors que les peuples d'Amazonie innocents n'ont pas besoin de conversion.
Ironiquement, cette attitude est condescendante et raciste en elle-même. Elle n'offre pas aux peuples indigènes la vraie dignité d'être des personnalités humaine complexes comme elle l'est comprise dans la théologie chrétienne. Au lieu de cela, la notion de bons sauvages encourage leurs admirateurs de traiter les indigènes comme des curiosités culturelles - les musées exposent ce qui est digne d'émerveiller et ce qu'on doit admirer.... avant de passer à autre chose.
Il n'est ni raciste, ni colonialiste, ni impérialiste de suggérer que les peuples indigènes d'Amazonie sont des pécheurs qui doivent être convertis, d'avoir foi en Jésus-Christ, et être baptisés.
Il doivent entendre la bonne nouvelle des Evangiles, répondre avec une foi pleine de joie, et trouver la rédemption et le chemin de la sainteté et de la plénitude... Tout comme leurs frères et leurs sœurs dans les métropoles. 


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