samedi 14 mars 2020

Hippie Inc. Comment la contreculture est devenue de la culture d'entreprise


Cet article semble être le parachèvement des mes recherches sur le sujet du New Age, des nouvelles spiritualités et du business de la méditation, et de plus, il est paru dans 1843, le supplément bimensuel de la "bible" de l'élite économique mondiale, The Economist

Voir aussi ici sur les liens qu'a entretenu l'institut Esalen et l'Union Soviétique au temps de la Guerre Froide dans le cadre d'échanges d'informations sur la cybernétique et la parapsychologie 



Un demi-siècle après le "Summer of Love", la marijuana est un marché juteux et la méditation de pleine conscience, quelque chose de banal au travail. Nat Segnit se demande comment le mouvement s'est retrouvé au cœur du capitalisme.


Brian parle de son atelier de cinq jours auquel il assiste, à une jeune Américaine d'origine asiatique. "Cela s'appelle "bio-hacker le langage de l'intime", dit-il. "Oui, oui" répond la femme américano-asiatique. Elle s'adresse moins à Brian qu'à la forêt de varech qui flotte près de la côte. Brian poursuit : ce qu'il apprécie particulièrement, c'est la facilité de parler de choses qu'il ne peut évoquer au travail, du relationnel et ainsi de suite. "Tu sais, dit-il, ce qui fait vraiment cette connexion humaine."

L'Américaine d'origine asiatique lui adresse cette sorte de sourire brillant et inexpressif que les Californiens déploient lorsqu'ils sont sur le point d'être en désaccord avec vous. "Je découvre que je peux faire des connexions humaines dans bien des contextes différents."

Brian continue tranquillement. Presque à coup sûr, c'est un rituel de séduction américain typique et même touchant : un jeune homme propre sur lui, ni plus ni moins méfiant ni respectueux que son grand-père avait du l'être ; la jeune femme exerçant négligemment son pouvoir sur lui, mais pas impressionnée. La différence cruciale est que les deux personnes sont nues non seulement nue dans le  cas de la femme, mais restant dans l'eau, s'exposant dans une complète immodestie devant Brian et la brise fraîche du Pacifique.

Nous sommes dans les sources de souffre extérieures qui s'accrochent aux falaises de l'institut Esalen, un centre de retraite spirituel à Big Sur en Californie. Ici, le partage nu est courant est aussi chargé en érotisme que dans un camping naturiste - ce qui peut être aussi bien, alors que je suis nu aussi, le groseillier dans jacuzzi, essayant désespérément d'avoir l'air décontracté tout en essayant de ne pas regarder les cuisses de Brian.

On pense que les sources chaudes de cette côte rocheuse mais belle qui s'étire en Californie centrale ont une utilisation rituelle ou thérapeutique depuis au moins 6000 ans, lorsque les Esselen, la tribu amérindienne qui a inspiré le nom de l'institut, ont migré plus au sud depuis la région de la Baie de San Francisco. Ils ont vu la confluence des eaux comme un endroit idéal pour le culte et l'enterrement de leurs défunts. En 1962, un propriétaire local, "Bunnie" MacDonald Murphy, a donné son accord pour louer sa propriété, qui avait été jusque là une station vieillotte, fréquentée par des gays de San Francisco, à son petit fils Michael Murphy. Avec son camarade diplômé en psychologie à l'université de Stanford, Dick Price, Murphy a crée l'Institut Esalen comme centre du nouveau "mouvement pour le potentiel humain." Leur intention était d'organiser une série de séminaire contre-culturels et des "sessions expérimentales."

La douceur a fait long-feu. En 1963, Fritz Perls, un psycho-analyste d'origine allemande, notoirement connu pour sa thérapie de groupe débridée et souvent traumatisante, est arrivé à Esalen puis a commencé à démanteler les personnalités de ses sujets, trait par trait. L'institut a développé une réputation de drogue, de baignades nues et de sexe libre. Des hordes de hippies ont fait le voyage depuis San Francisco pour camper et prendre de grandes quantités de drogues psychédéliques. George Harrison est venu là en hélicoptère pour une session de sitar avec Ravi Shankar. Sharon Tate était là la veille de son assassinat. Esalen était un terrain d'expérimentation hippie, un point de focalisation pour les préoccupations de la contre-culture avec la psychédélique, le mysticisme oriental et la réalisation de soi. C'était l'église-mère de la religion de la non religion.

Un endroit improbable donc, pour y rencontrer Brian. C'est un conseiller financier de Yuba City en Californie du nord avec des cheveux bien peignés et un certain goût pour les chemises à col ouvert du style J.Crew. Il ressemblait à quelqu'un qu'on pourrait rencontrer dans un bar sportif ou dans une salle d'aéroport réservée aux classes affaires, il pense une grande partie de son temps libre dans un club de golf mais donc, Esalen n'est plus ce qu'il était. Ces dernières années, l'institut a été accusé de se vendre au plus offrant, de trahir les principes de la contre-culture qu'il avait contribué à se constituer. L'accusation a repris de la force quand en 2017, l'institut a nommé un ancien chef de produit de Google comme directeur exécutif.

Ben Tauber avait travaillé sur les Hangouts, le Chat et le réseau social au destin malheureux, Google+. Après sa nomination, il y a eu un changement subtil dans le programme d'Esalen du spirituel au digital : l'atelier incluait désormais "intelligence artificielle (AI) consciente" et "Blockchain et crytomonnaie." Cela amena les suspicions qu'Esalen était devenue l'aile thérapeutique de la Silicon Valley, une retraite d'entreprise aussi contre-culturelle que les nouvellement installées stations de rechargement électrique Tesla sur le parking. Réserver une suite privée avec un bureau en séquoia, une baignoire sur pied et un cheminée, et un week-end à Esalen peut vous coûter pas moins de 3000$. Venir pour une semaine et vous pouvez envisager un montant proche de 7000$.

Si l'Amérique de l'entreprise a infiltré la contre-culture, on pourrait dire la même chose de l'inverse. Google, Apple, Facebook, Nike, Procter & Gamble et General Motors offrent tous des programmes de méditation de pleine conscience, une dénomination large pour un certain nombre de pratiques d'influence orientale faite pour que vous vous focalisiez sur le présent. les employés des quartiers généraux de Cisco Systems a San Jose participent au LifeConnections Health Centre, où l'on se concentre sur les "quatre piliers" du bien-être - corps, esprit, spiritualité et coeur. Son directeur de santé intégré pour les bénéfices globaux, Katelyn Johnson, est responsable du développement de l'idéal de Cisco de "l'athlète d'entreprise" - musclé d'esprit et de corps. A Aetna, une compagnie d'assurance santé américaine géante, plus d'un quart des 50.000 personnes qui composent sa main d'oeuvre, ont désormais participé à au moins l'un des stages internes de méditation de pleine conscience. Selon la firme, la productivité hebdomadaire du participant moyen avait cru de 62 minutes, et la valeur résultante pour la société est, dans la région, de 3000$ par employé chaque année. En plus de ces bureaux ouverts, des tables de ping-pong et des codes vestimentaires décontractés, la méditation de pleine conscience au travail est une idée qui s'est emparée de la Silicon Valley et par conséquent du monde. Ce qui avait été autrefois réservé du centre de retraite, est désormais une pratique d'affaire qui a un sens : un mysticisme avec un retour sur investissement mesurable.

Je suis venu à Esalen pour refléter un paradoxe apparent : l'absorption graduelle de la contre-culture par le capital. Quelques heures après notre baignade dans la source sulfureuse, je tombais de nouveau sur Brian, appuyé à une balustrade à l'extérieur du bâtiment principal. Tout en regardant derrière les arbres éclairés vers la désormais invisible obscurité de la mer et du ciel, il semblait préoccupé. "A mon club de golf, je suis le seul mec à demander si la soupe est sans gluten", dit-il, "je pense être un franc-tireur à certains égards mais ici je me sens chez moi, tu sais ?"

Si l'on veut comprendre comment un mouvement destiné à saper l'Amérique de l'entreprise, a fini au coeur de celle-ci, une bonne façon de commencer est l'histoire de Steward Brand. Ancien photographe et parachutiste à l'armée, Brand visitait fréquemment Esalen pendant les premières années de son fonctionnement. Dans "Acid Test", le récit de Tom Wolfe sur le voyage en bus alimenté à l'acide à travers l'Amérique des Merry Pranksters, il surgit torse-nu et arborant "un collier de perle indien sur sa peau nue et une blouse de boucher blanche avec des médailles du roi de Suède."

Brad était une figure clé du mouvement du retour à la terre, un précurseur de l'environnementalisme moderne dans son rejet d'une Amérique de l'échelon d'entreprise, conventionnelle et militariste en faveur d'un communalisme plus simple, agraire et non-hiérarchique pratiqué dans des endroits comme Esalen. En 1968, il a publié la première édition de "The Whole Earth Catalog" (le catalogue de la terre entière), une sorte de mélange hippie du magazine Which ?, d'un catalogue de vente par correspondance et "le livre dangereux pour les garçons". La première édition contient des articles de construction de maisons japonais et de structures ductiles, des guides pour faire pousser des champignons et pour élever des abeilles, et des revues sur tout des coussins de méditation au mocassins en daim et l'ordinateur Hewlet-Packard 9100A ("une superbe machine à enquête"). Chaque catalogue de 63 pages était un patchwork de textes, de diagrammes, de tables et d'images photographiques dédiées à la proposition que, utilisée correctement, la technologie peut avoir un effet libérateur sur l'humanité. Dans un discours de cérémonie de remise de diplômes à Stanford en 2005, Steve Jobs l'a décrit comme "l'une des bibles de ma génération.... une sorte de Google en format livre, 35 ans avant que Google apparaisse."

Les bureaux de Whole Earth se situaient à Menlo Park qui est aussi le foyer du Homebrew Computer Club, une groupe dépenaillé d'enthousiastes d'électronique dont les fondateurs ont crédité le "Whole Earth Catalog" pour avoir inspiré leur éthique d'auto-suffisance et d'échanges gratuits d'idées et d'informations. Ce fut à la rencontre de Homebrew en 1976 que Steve Wozniak, maladivement timide, se sentit assez hardi pour dévoiler son prototype d'ordinateur Apple I. Le club était un forum ouvert, une petite utopie technologique qui partageait avec ses pairs de la culture hippie une foi égalitaire dans l'effort communal et l'accessibilité. Libre de toute supervision bureaucratique, les cheveux longs libertariens de Menlo Park pouvaient poursuivre leurs rêves utopistes de changer le monde.

L'affinité entre la contre-culture et la culture d'entreprise contemporaine est moins paradoxale qu'elle en a l'air. La foi que Stewart Brand et ses associés ont placé dans l'idéal communautaire a mené directement à l'aspect informel et à l'organisation horizontale qui caractérise désormais Silicon Valley - et les sociétés globales sous son influence - qui fait des affaires aujourd'hui. Dans tous les cas, la contre-culture a toujours été un phénomène de la classe moyenne. Abraham Maslow a enseigné à Esalen et était sans doute l'influence intellectuelle la plus importante de ses fondateurs. Il suggérait dans son fameux "Hierarchy of Needs" (hiérarchie des besoins) que l'auto-actualisation est seulement possible lorsque les besoins basiques de "nourriture, d'eau, de chaleur et de repos" ont été trouvés. En conséquence, la plus grande partie étaient des bénéficiaires du boom économique de l'Après-Guerre jeunes, blancs et et éduqués en université qui avaient du temps libre pour se consacrer à la psychédélique et au façonnage de l'âme. "Esalen" a écrit Wolfe dans "Acid Test", était un endroit où les adultes de la classe moyenne éduquée venait en été essayer de sortir de "The Rut" et de se bouger un peu les fesses."

Je suis allongé sous une couverture sur quelques coussins veloutés en peluche alors qu'une guérisseuse nommée Deva s'affaire à pas feutrés en faisant tinter sa collection de diapasons, de bols de cristal chantants et de "tingshas", les petites cymbales que les enseignants en méditation utilise pour mettre un terme à leurs sessions. La pièce située à l'étage du principal bâtiment d'Esalen, s'appelle Huxley, d'après Aldous qui a enseigné à l'institut; et ressemble à une grange luxueuse. Ici les portes de la perception sont artisanales et faites à la main. Accompagné de 40 autres pensionnaires allongés à plat ventre sur le sol autour de moi, je suis dans "un Voyage du Son Sacré", transporté sur un tapis auditoire vers un état de pure harmonisation et de conscience. La théorie, d'après ce que j'ai compris, est que le stress et l'anxiété fait vibrer nos cellules à des fréquences sous-optimales : le son du bol et d'autres instruments les restaure vers l'harmonie vibratoire.

En pratique, c'est un peu comme essayer de dormir sur une machine à laver. Lorsque Deva commence vraiment, vous pouvez sentir vos joues s'estomper. le but est d'utiliser le son comme un objet de méditation, un repère d'attention assez sûr pour abandonner la liste de choses à faire, les bribes de désirs et le dépôt mental général succomber. Mais je trouve que les coussins et l'encens trop relaxants., et je m'assoupis jusqu'à qu'il y ait un tintement des tingshas et nous nous asseyons tous pour partager notre conscience en position du lotus. "Dans le monde dans lequel je vis, dit l'homme souriant face à moi, tout est délicieux."

La méditation est une partie du programme d'Esalen depuis le debut. Lorsque Dick Price, l'un des co-fondateurs, était encore dans l'US Air-Force dans les années 1950, il a été initié au Vipassana - une sorte de méditation bouddhiste qui met l'accent sur la conscience claire du présent. Une forme de pratique spirituelle qui a ôté Dieu de l'équation promettant une liberté pour les jeunes Américains qui rongeaient leur frein face aux limites du christianisme. 

Pendant ce temps sur la côte est, d'autres enseignants avaient ramenés des connaissances de pratiques bouddhistes qu'ils avaient récupéré en voyageant en Birmanie, en Inde et en Thaïlande. Ils les ont appliqué à ce qui allait devenir connu sous le nom de "mouvement vipassana", qui fleurissait hors de leur pratique bouddhiste traditionnelle pour les goûts américains. le but était d'atténuer les parties les plus explicitement pieuses, comme la mélopée des suttas, pour favoriser l'élément méditatif.

Jon Kabat-Zinn est allé un peu plus loin. En 1965, lorsqu'il étudiait pour obtenir son doctorat en biologie moléculaire au MIT, Kabat-Zinn a assisté à un exposé sur la méditation par un enseignant d'origine américaine sur le bouddhisme zen, il est devenu de plus en plus intrigué par ses enseignements jusqu'au delà de la décennie suivante. Si la méditation encourageait une plus grande conscience de son corps et de son esprit, quel effet pourrait-il y avoir sur des conditions apparemment intraitables comme la douleur chronique et la dépression ? Le défi de Kabat-Zinn était de faire le pont entre les deux cultures. Dans les cercles universitaires dans lesquels il évoluait, les réponses religieuses aux problèmes médicaux vous auraient fait sortir en hurlant de rire de l'amphithéâtre de conférence. Sa solution était simple : ôter la partie religieuse. Dès 1979, il avait développé une technique qu'il a appelé réduction de stress basé sur la méditation de pleine conscience, ou MBSR, qui combinaient des éléments de hatha yoga avec de la méditation de pleine conscience bouddhiste, mais les avait dépouillé de ses pièges religieux.

Cela a été un pas décisif vers la normalisation de ses idées ésotériques. Dépouillé de son bagage religieux, la méditation de pleine conscience est devenu un sujet adapté à l'étude scientifique. Des centaines d'essais aléatoires contrôlés ont depuis lors montré l'efficacité du MBSR et des techniques reliées en réduisant les niveaux de cortisol, une hormone associée avec le stress, il améliore aussi la mémoire et le traitement spatio-visuel, il amoindri l'errance du schéma de pensée qui peut caractériser la dépression et la mauvaise focalisation. Le Nirvana pouvait attendre : la méditation de pleine conscience a désormais une respectabilité universitaire, la panacée du matérialiste. Les approches du MBSR et des thérapies associées sont désormais prises en charge par les système de santé à travers le monde entier. En 2004, l'Institut national britannique pour l'excellence clinique, l'organisme qui fournit des conseils sur les nouveaux médicaments et traitements offerts par le National Health Service (Sécurité Sociale britannique), a approuvé la thérapie cognitive basée sur la méditation de pleine conscience pour les gens risquant une rechute dans la dépression.

Le big business ne tarda pas à considérer la valeur de la méditation de pleine conscience dans son argument de base. En 2007, Chade-Meng Tan, un ingénieur en logiciel et employé de Google, a co-fondé "Search Inside Yourself" (recherche à l'intérieur de toi), un programme d'entraînement à la méditation de pleine conscience conçu pour aider ses collègues employés chez Google pour améliorer leur concentration et de gérer le stress au travail. Pendant plus de deux jours et demi, ou pendant sept semaines moins intensives, les employés ont été entraînés en concentration attentionnelle, en conscience de soi et en empathie, en utilisant des techniques tirées de la méditation de pleine conscience et en psychologie organisationnelle. Le résultat a été un cours intensif en intelligence émotionnelle pour une force de travail dominée par des ingénieurs enclins à l'embarras social et au burnout. Le programme a depuis été cédé à une organisation indépendante à but non lucratif, le Search Inside Yourself Leadership Institute, qui fait la promotion de la méditation de pleine conscience dans les sociétés et les autres organisations à but non-lucratif à travers le monde. Carolina Lasso est directrice de marketing dans les bureaux de SIYLI à San Francisco. Pour elle, la méditation de pleine conscience est moins un moyen de prendre du recul d'un environnement de travail pressurisé qu'un outil pour occuper cet environnement de façon plus efficace. "La méditation de pleine conscience sert de base pour développer d'autres compétences" me dit-elle. "L'intelligence émotionnelle, le leadership compassionnel."

L'attirance vers d'autres sociétés était claire. La méditation de pleine conscience offrait une façon peu coûteuse de réduire le stress et l'anxiété au travail, tout en améliorant la fidélité et la productivité du personnel. Les critiques diraient que l'avantage de la méditation de pleine conscience repose sur l'intériorité qu'il encourage : il garde vos employés tranquilles et plus enclins à accepter des demandes déraisonnables concernant leur temps et leur énergie. D'une manière ou d'une autre la pratique se répand, d'abord par le secteur de la technologie et ensuite au delà. Une étude de 2017 par le National Business Group on Health (groupe de société national sur la santé), une organisation à but non lucratif basé à Washington DC, a révélé qu'un tiers des entreprises américaines offrent des classes ou des stages de méditation de pleine conscience, et qu'un quart supplémentaire envisageait d'en introduire.

"Silicon Valley est un environnement riche mais intense" explique Katelyn Johnson de la société Cisco. "C'est un rythme extrêmement intense. Par conséquent, nous avons besoin de méditation de pleine conscience pour nous aider à survivre, en toute franchise, parce que si vous n'apportez pas votre moi total et le meilleur de vous-même au travail, c'est assez dur d'innover et de créer et de bouger constamment au rythme attendu." Le gros défi à Cisco, dit-elle, est "d'être présent." L'affairement, les mises à jour et emails et les iMessages sont tels - les instruments de surcharge attentionnel pour lesquels la Silicon Valley peut uniquement s'en prendre à lui-même - qu'il "est assez dur de nos jours et à notre époque d'être pleinement engagé." La méditation de pleine conscience remet de l'ordre et force un engagement ici et maintenant.

A Esalen, à l'extérieur de la loge dans le jardin de Bouddha, j'ai rencontré Krista Martin, qui travaille à l'informatique du service santé. "Faire l'expérience de ce bel endroit, c'est sensoriel", dit-elle. "Ce sont les vents frais de l'océan, c'est le bruit des vagues qui s'écrasent sur les roches, c'est la chaleur des bains. C'est un endroit sensoriel qui vous ouvre l'esprit. Et je me rend compte que je n'ai pas fait grand chose pour cela." C'est un après-midi parfait, ensoleillé avec une brise caressante; et Krista et moi nous occupons un banc entouré par des rangées soignées de salades et d'herbes aromatiques. Au delà du jardin potager, et une étendue d'herbe bien entretenue - mais pas trop - qui enveloppe la propriété, la terre s'arrête brusquement à une cloture à trente mètres au dessus d'un rivage qu'on ne peut pas voir. L'effet est fascinant mais assez nauséeux : un gazon infini. Au bureau, admet-elle, Krista a une tendance à l'addiction au travail (workaholism), restant au bureau jusqu'à minuit, négligeant sa vie personnelle, réalisant ses tâches en pilote automatique. "Je suis ce genre de personne qui va travailler et qui soudainement s'aperçoit qu'il est une heure, et qui n'a pas mangé, et qui oublie d'aller aux toilettes. Elle doit travailler." Elle a maintenant une petite cinquantaine d'années, Krista s'est promise une nouvelle "intentionnalité : ne pas laisser sa vie s'écouler sans se faire remarquer.

Pour des hôtes comme Krista, l'idée que Esalen s'est écarté de ses principes fondateurs est bien loin de son esprit. Terry Gilbety, le successeur de Ben Tauber comme PDG, est d'accord. "On peut venir à Esalen pour 400$ le week-end," me dit-il. "L'espace pour un sac de couchage est garanti, mais vous avez la nourriture, vous avez l'atelier, vous avez l'opportunité de faire une retraite." Le logement haut de gamme subventionne les séminaires qui se serrent la ceinture et qui couchent sur le sol des salles de réunion. La mission, comme le dit Gilbey, est celle qu'elle a toujours été : donner aux hôtes la chance "de ralentir, de déconnecter.... et se connecter aux autres sur un niveau différente", de "s'asseoir dans la quiétude et la méditation."

"Je pense que dans les 25 ans à venir, l'acte 3, sera une époque merveilleuse", dit Krista. "Mais seulement si on fait attention." Selon elle, les qualités "expérimentales et sensorielles" d'Esalen permettent précisément cela : une vigilance face au présent. "Il ne s'agit pas d'apprendre quelque chose de nouveau. Ce n'est pas de déployer son esprit. C'est juste être."

Avant la fin des années 1960, la consommation de drogue à Esalen était si omniprésente que ses fondateurs commençaient à craindre qu'ils ne contrôlaient plus rien. Les psychédéliques et la pratique spirituelle ont une longue histoire commune ; la toute première brochure de Esalen, publiée en septembre 1962, listait un atelier de mysticisme relié à la drogue. Dick Price était un camé zélé et prônait son utilisation comme un chemin vers l'expérience mystique. Le problème survint avec la massive migration de hippies qui avait marqué ce qu'on appelé le Summer of Love en 1967. La marijuana, la mescaline et le LSD étaient consommés en vastes quantités et sans issue thérapeutique. "Nos canyons étaient plein - je veux dire, ils explosaient," se souvient Michael Murphy. "C'est un miracle qu'Esalen ait survécu à cette période."

De nos jours, les canyons sont plus tranquilles. L'altération de l'esprit a une nouvelle respectabilité ; au début de l'année 2019, Esalen a organisé une atelier sur les psychédéliques en tant que conscience - des agents en expansion de changement personnel et social. Plusieurs séminaristes que j'ai rencontré dans les bains chauds sont des gens qui consomment des petites quantités de LSD, de psilocybine et de cannabis. Cependant, la politique envers la drogue de l'institut est sans ambiguïté. Les drogues illicites sont strictement interdites. On a autant de chance de trouver quelqu'un qui se fait un trip au club de golf de Brian que là.

C'est une partie d'un courant plus large. La Californie a légalisé l'usage récréatif du cannabis en novembre 2016. L'entrée de l'herbe dans le marché traditionnel a causé un changement dans la culture de la drogue, au moins puisqu'il concerne les hallucinogènes non addictifs comme le LSD et le cannabis : de la rébellion à la responsabilité, de la marginalité au passage à son dispensaire de cannabis du coin en service complet.

A Castro, qui fut le centre du radicalisme gay à San Francisco, je m'arrête à côté du magasin vedette de l'Apothecarium, une chaine forte de quatre magasins de boutiques chics de cannabis. L'esthétique pourrait décrite comme un Apple Store à l'ancienne : un espace ouvert dans des gris et des bleus discrets, des présentoirs en damassé noir et blanc, des pipes à eau design en verre et une "bibliothèque du cannabis." Ces nouveaux points de vente récréatifs bien comme il faut sont en bataille pour être plus à la mode que l'autre.

Je me suis présenté avec un menu du style de celui d'un restaurant offrant un choix stupéfiant de mécanisme de distribution ("fleur", "pré-roulé", "vapoteur", "comestible", "d'actualité"), quantité et effort ("lorsqu'il est l'heure de peindre, improviser, coder, bloguer ou jouer, trouvez votre muse dans "Canndescente Create.TM). Avec les conseils de Peter, mon "consultant en cannabis", un jeune homme compact à peine visible sous ses quantités de cheveux et de pilosité faciale à la Cousin Itt, j'ai choisi un stylo à vapoter à contrôle de dose. Il contient un concentré dont le ratio de THC (le composant qui vous élève) au CBD (le composant qui ne le fait pas mais qui peut soulager la douleur et l'anxiété); devrait faire un juste milieu, explique Peter, entre une expérience réjouissante avec un psychotrope et un risque faible de paranoïa. Je paye mes 49$ et je met mon paquet discrètement en poche pour plus tard.

A 15 blocs à l'est de l'apothicaire dans le quartier de Mission, je visite les bureaux hipsters en béton brut de Pax Labs, ou "l'espace cannabis", comme le PDG Bharat Vasan l'appelle, converge avec la technologie mobile. (Vasan a quitté la société depuis). Le produit phare de Pax est le Era, un tube vapoteur élégant et super-léger fait pour être utilisé avec des capsules détachables de concentré de cannabis : l'équivalent du Nespresso en plus stone. L'application jointe signifie que le dosage et la température du vapotage peuvent être contrôlés avec votre smartphone.

" La température importe beaucoup dans notre espace", explique Vasan, qui a vendu sa précédente startup, une société de fitness-wearable appelé Basis, à Intel pour 100 millions de dollars. "Les concentrés se volatilisent à différentes températures. C'est comme avec le vin : le verre est vraiment important. Les différentes températures sont équivalentes aux verres de vin." Son objectif est une "expérience super-rodée" dans la veine d'Apple ou Tesla, pour revendiquer une part de marché que Vasan estime être autour de 90 millions de dollars "dans les cinq prochaines années." En dernier lieu, dit-il, la mission du laboratoire Pax est "d'implanter le cannabis comme une force pour de bon." Après quarante-cinq minutes de cela et je commence à languir pour un joint mal roulé sur un banc public.

Après être descendu aux lignes de chemin de fer de San Mateo, j'ouvre la boîte que j'ai acheté à l'Apothicaire. A l'intérieur, il y a une tube blanc et brillant : un joint relooké par Jony Ive, avec un tampon d'un membre de section d'assaut impérial. "pour une dose unique", lisez les instructions, "inhalez jusqu'à que ce le stylo vibre."

Je prend une bouffée. La pointe bleuit. Le passage piéton commence à retentir avec fracas et un bi-level passe de San Francisco en direction de la vallée, sa sirène mélancolique fait écho à une Amérique plus ancienne. Je suis extrêmement pété. Le stylo n'a pas encore vibré. Je remet le stylo dans sa boîte et je marche vers mon Airbnb, convaincu qu'il y a des milliers de minuscules araignées s'écoulant des palmiers.


  



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