jeudi 10 mai 2018

La béatitude consiste-t-elle dans les richesses?





Réflexions du XIIIe siècle mais d'une brulante actualité....


La béatitude consiste-t-elle dans les richesses? 

Objections:

1. On pourrait penser que la béatitude de l'homme consiste dans les richesses. En effet, la béatitude étant la fin ultime de l'homme, elle doit consister en ce qui occupe le premier rang dans ses désirs. Or telles sont les richesses, car "à l'argent tout obéit", dit l'Ecclésiaste (10, 19). 

2. D'après Boèce la béatitude est "un état parfait grâce au rassemblement de tous les biens". Mais il semble qu'on puisse tout posséder avec de l'argent. Le Philosophe le suggère quand il dit que la monnaie a été inventée comme une caution pour avoir tout ce que l'homme veut.

3. Le désir du souverain bien, qui n'abdique jamais, semble être infini. Or ceci appartient éminemment aux richesses; car il est dit dans l'Ecclésiaste (5, 9): "Celui qui aime l'argent ne sera pas rassasié par l'argent.

Cependant: 

le bien de l'homme doit consister à conserver la béatitude plutôt qu'à la laisser échapper. Or, dit Boèce, "les richesses brillent davantage à se répandre qu'à s'entasser; car l'avarice rend les riches odieux, et la générosité les rend illustres". Donc la béatitude ne consiste pas dans les richesses. 

Conclusion : 

Le Philosophe distingue deux sortes de richesses: les richesses naturelles et les richesses artificielles. Les premières servent à l'homme pour subvenir aux besoins de sa nature: tels sont les aliments, les vêtements, les moyens de transport, les habitations, etc. Par les secondes, comme les monnaies, la nature ne reçoit directement aucun secours; mais l'ingéniosité humaine les a créées pour la facilité des échanges, de telle sorte qu'elles servent à évaluer les biens qui se vendent. 

Or il est manifeste que les richesses naturelles ne sauraient constituer la béatitude de l'homme, car elles ne sont recherchées que pour le soutien de la nature et ne peuvent donc prétendre être sa fin ultime. Bien plutôt, ce sont elles qui sont ordonnées à l'homme comme à leur propre fin. Aussi, dans l'ordre de la nature, tous les biens de ce genre sont-ils au-dessous de l'homme et créés pour lui, selon ces paroles du Psaume (8, 8): "Tu as tout placé sous ses pieds." 

Quant aux richesses artificielles, on ne les recherche qu'en vue des richesses naturelles; on ne les rechercherait pas, si l'on ne se proposait d'acheter grâce à elles ce qui est nécessaire à la vie. Moins encore peuvent-elles donc avoir le caractère d'une fin ultime. Il est donc impossible que la béatitude, qui est la fin suprême de l'homme, consiste dans les richesses. 

Solutions: 

1. Toutes les choses corporelles obéissent à l'argent, du moins pour la multitude des sots, qui ne connaissent rien en dehors de ces biens corporels qu'ils peuvent acquérir par leur argent. Or, on ne doit pas chercher un jugement sur les biens de l'homme auprès des sots, mais auprès des sages, de même que l'on consulte, pour juger des saveurs, ceux qui ont le goût juste.

2. On dit que l'argent procure tout: oui, ce qui peut se vendre; mais les choses spirituelles ne peuvent pas se vendre. "Que sert-il à l'insensé d'avoir des richesses, dit l'Écriture (Pr 17, 16), puisqu'il ne peut acheter la sagesse?" 

3. L'appétit des richesses naturelles n'est pas infini car, dans une mesure limitée, elles suffisent à la nature. Mais l'appétit des richesses artificielles n'a pas de bornes, car il est au service d'une convoitise désordonnée, qui est sans mesure, comme l'observe le Philosophe. Autre est néanmoins le désir infini des richesses, autre celui du souverain bien. Plus celui-ci est possédé, plus il est aimé et plus tout le reste est méprisé, car en le possédant davantage on le connaît mieux, selon cette parole de l'Ecclésiastique (24, 21): "Ceux qui se nourrissent de moi auront encore faim." Mais pour l'appétit des richesses et de tous les biens temporels, c'est le contraire: dès qu'on les possède, on les méprise et on désire autre chose. C'est le sens de cette parole du Seigneur (Jn 4, 13): "Celui qui boit de cette eau", symbole des biens temporels, "aura encore soif". Et cela parce que l'on connaît mieux leur insuffisance lorsqu'on les possède. Ce fait même montre leur imperfection, et que le souverain bien ne se trouve pas là. 


St Thomas d’Aquin - Somme théologique (la béatitude de l’homme). Trouvé sur le site http://www.thomas-d-aquin.com/Pages/Traductions/STIIIa.pdf 





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